A la fin des années 1950, le monde et la vie se transforme rapidement. La télévision fait son entrée dans les foyers. Les supermarchés se multiplient et proposent de nouveaux objets en plastique coloré. Les voitures sont de plus en plus nombreuses, rapides. Les rues sont animées par les affiches publicitaires et les enseignes lumineuses... Tout va plus vite, tout est plus coloré, plus brillant, plus bruyant. Face à cette nouvelle société de consommation, des artistes éprouvent la nécessité de créer des oeuvres en accord avec leur temps.
Les Nouveaux Réalistes ne veulent pas faire, comme leurs ainés, de l'art abstrait, mystérieusement expressif. Ils trouvent cela prétentieux et absurde. Mais il ne s'agit pas non plus de dessiner sagement et avec précision, comme le faisait Fernand Léger, les machines du monde moderne. Non, il leur faut réinventer une manière de faire de l'art, plus ludique, avec de nouveaux gestes, une nouvelle façon de montrer les oeuvres.
Un groupe d'artistes, ils sont treize, ils sont amis et se retrouvent souvent au café, dans les ateliers ou les appartements de Nos gobelins des faubourgs, tissés sur la basse-lisse des trottoirss uns et des autres. Il y a le groupe des affichistes, autour des deux Bretons Jacques Villeglé et Raymond Hains, avec François Dufrêne, le poète parisien, puis l'Italien Mimmo Rotella, qui aime les affiches de cinéma, et Gérard Deschamps, l'inventeur de panoplies colorées. Les amis niçois, Yves Klein et Arman, se partagent le monde et soutiennent le plus jeune du groupe, Martial Raysse. Les compagnons suisses, Jean Tinguely et Daniel Spoerri, rêvent de labyrinthes artistiques et ludiques. Ils accueillent Niki de Saint Phalle, tireuse d'élite, et Christo, "l'empaqueteur". Enfin, César, l'ainé, sculpteur reconnu puis "compresseur" de voitures, les accompagne. Un critique d'art, Pierre Restany, qui aime parler, organiser des rencontres et des fêtes, décide avec l'artiste du bleu, Yves Klein, d'en faire un groupe, les Nouveaux Réalistes. Ils seront ainsi plus forts et, grâce à leurs actions-spectacles, on parlera d'eux.
Raymond Hains, Jacques Villeglé et Rotella aiment se promener dans les rues. Ils décollent les affiches des murs de la ville qui ont été lacérées par les passants, pour les placer sur les murs des galeries, comme des peintures. C'est leur façon à eux de faire un pied-de-nez aux artistes abstraits qui se prennent trop au sérieux. Ils prélèvent ainsi dans la nature urbaine les matériaux de leur art "nouveau réaliste". On les appelle les "décollagistes" ou les "affichistes". Yves klein est tout aussi critique à l'égard des peintres établis lorsqu'il réalise des monochromes avec un pigment industriel, qu'il nomme l'IKB, ou qu'il utilise des "pinceaux vivants", des modèles dont le corps enduit de peinture vient poser son empreinte sur la toile. Arman, qui habite à Nice, vient à Paris retrouver son ami Yves Klein. Il lance des objets, qu'il à encrés au préalable, à la surface de la toile ou sur du papier posé à terre. Il appelle ces tableaux de traces des "allures d'objets".
César découvre un jour, chez un ferrailleur de la banlieue parisienne, à Villetaneuse, une grande presse américaine qui permet de réduire les voitures en parallélépipèdes de métal. Il décide d'en faire des oeuvres, "des compressions" qu'il compose lui-même en ordonnant dans la presse les différents éléments colorés de carrosserie. Christo, lui, récupère des bidons de métal qu'il empaquette de toile et de corde. Il fait la même chose avec différents objets, les transformant en sculptures. De son côté, Arman les accumule dans les boîtes en verre. Il décide de montrer les déchets et réalise des portraits à partir des poubelles personnelles des gens. Dis-moi ce que tu jettes, je te dirais qui tu es. Deschamps fait des compositions, des "panoplies" de tissus, de sous-vêtements, de nappes. Martial Raysse, fasciné par les présentations de marchandises dans les supremarchés, crée des "étalages Prisunic", assemblages très colorés de petits objets en plastique.
Les Nouveaux Réalistes aiment faire la fête. Ils invitent le public à participer à leurs actions artistiques. Tinguely invente des machines à dessiner. L'une d'entre elles ressemble à une bicyclette géante, il faut pédaler fort pour faire un dessin. Niki de Saint Phalle réunit ses amis dans le jardin de son atelier, impasse Ronsin, pour leur montrer ses nouveaux reliefs d'objets et de plâtre. Pour les colorer, chacun doit tirer dessus à la carabine pour faire éclater les poches de peinture dissimulées sous le plâtre. Spoerri organise des "dîners-piégés". Il est le chef cuisinier. A la fin du repas, il colle le couvert et les restes sur le plateau de la table qu'il accroche au mur comme un tableau. Plusieurs festivals sont organisés : on mange, on boit, on danse et chacun réalise des oeuvres d'art à l'issue "d'actions-spectacles".
Cécile Debray,
Conservateur, commissaire général
de l'exposition "Le Nouveau Réalisme"
au Grand Palais.
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