Le 18 octobre 1905 : Emile Loubet, président de la République, refuse d’inaugurer le troisième salon d’automne qui s’ouvre au Grand Palais. La cause: la salle VII, qui réunit les toiles de Camoin, Derain, Manguin, Marquet, Matisse et Vlaminck, est jugée inacceptable par l’ensemble des critiques. On parle de "bariolages informes", de "brosses en délire", "de mélange de cire à bouteille et de plumes de perroquet".
Plus particulièrement attaquée, La femme au chapeau de Matisse, quand elle ne fait pas rire, attire les foudres et les commentaires les plus virulents. Un buste placé au centre de la pièce fait alors écrire à Louis Vauxcelles : "C’est Donatello parmi les fauves". La formule plaît tellement que la salle est bientôt rebaptisée "la cage aux fauves". Par extension, les artistes y ayant exposé sont assimilés à cette expression et leur peinture est qualifiée de "fauviste". Camille Mauclair écrira aussi pour décrire ces oeuvres aux couleurs violentes que c'est un "pot de peinture jeté à la face du public". De rares marchands, parmi lesquels Ambroise Vollard et Berthe Weill, soutiennent les Fauves, tandis que la critique et le public montrent beaucoup d’hostilité.
Premier véritable scandale artistique du XXe siècle, le fauvisme ouvre le bal des avant-gardes. Pour autant, il s’en distingue aussi dans la mesure où il ne s’est pas constitué volontairement autour d’un manifeste (contrairement au dadaïsme, au futurisme ou au surréalisme par exemple). Bien que certains des artistes de la salle VII aient pratiqué ensemble la peinture (Matisse et Derain à Collioure, pendant l’été 1905), aucun n’a jamais revendiqué une quelconque appartenance à un mouvement constitué et régi par des principes qu’ils auraient édictés collégialement. En revanche, il est vrai que beaucoup se connaissaient (ils ont été nombreux à fréquenter les cours de Gustave Moreau à l’Académie des beaux-arts) et que certains, liés d’amitié, échangeaient fréquemment sur l’avancée de leur travail. Ainsi, en 1905, Derain écrit à Vlaminck : "Je me suis laissé aller à la couleur pour la couleur".
Les peintres désirent séparer la couleur de sa référence à l’objet et libèrent sa force expressive. Ils réagissent de manière provocatrice contre les sensations visuelles de l’impressionnisme et répondent avec violence au défi de la photographie. Enrichi par les expériences colorées néo-impressionnistes le fauvisme se réfère à la poésie des tons de Paul Gauguin, à l’acidité chromatique et la vigueur du coup de pinceau de Van Gogh, à la libération du trait dans l’œuvre de Toulouse-Lautrec et à la touche divisée et à la valeur constructive de la toile laissée vierge de Seurat. L’inspiration des arts africains et océaniens marque l’esthétique fauve, elle se développe en relation avec celle des expressionnistes sans en adopter le contenu tragique.
Qu’il s’agisse de paysages (Collioure, Chatou) ou de scènes urbaines (Trouville, Londres), de portraits d’artistes (Derain, Vlaminck) ou de figures (allégories de Matisse, chanteuses de Van Dongen), la peinture fauviste affirme avant tout une profonde liberté de représentation et une mise à distance du principe de ressemblance. Finies les compositions classiques, les adeptes du fauvisme se concentrent exclusivement sur les contrastes de couleur et ce qu'elle peut faire ressentir, comme les émotions. Au moment où le cubisme (lui aussi baptisé et constitué par la critique) explore la structuration de l’espace de la toile en lignes et en facettes, le fauvisme engage une expérimentation moderne de la couleur qui sera largement reconduite au cours du XXe siècle.
Caractéristiques
- Les sujets, paysages, nus et portraits, restent figuratifs mais d’une représentation simplifiée.
- Le tableau fauve s’accorde à la planéité du support, nie la profondeur et les volumes.
- La ligne ondoie et modifie les formes.
- La nature, filtrée par la pulsion subjective de l’artiste, est exprimée par des plages de couleurs pures souvent violentes et intensément lumineuses. L’apprêt blanc renforce l’intensité
des couleurs.
- L’emportement de la touche traduit les émotions.
Les œuvres du fauvisme vont ouvrir les portes à une abstraction de plus en plus marquée de l’image, jusqu’à aboutir plus tard à l’art abstrait. De nombreux artistes vont poursuivre les questionnements ouverts au sujet de la couleur et aller jusqu’à la création de peintures en monochromes, comme Malevitch ou Klein. D'autres vont travailler sur l’essence même de la couleur, chacun à leur manière, dans des voies très variées, de façon sensible comme dans le travail de Rothko par exemple, ou de manière plus scientifique, comme les artistes de l’Op’Art.
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