Le sens précis du terme "japonisme" n’est pas très clair. Il est surtout utilisé pour désigner l’apparition de motifs japonais dans l’art occidental. Après 1860, l'Extrême Orient, et en particulier le Japon, devient une source d'inspiration pour les peintres français et européens qui opèrent une révolution dans leur art. De leur côté, les intellectuels américains considèrent les estampes japonaises comme une forme vulgaire d’art. Les xylographies, les recueils de motifs, les estampes et les objets d'art japonais produits à l'intention des étrangers influencent la peinture, l'architecture et les arts décoratifs occidentaux. Le gout européen pour l’art et l’artisanat japonais connait son apogée dans les années 1880. Le mot de "japonisme" fut inventé en 1872 par l’auteur et collectionneur français Philippe Barty pour designer les emprunts artistiques et historiques aux arts du japon. L'art qui résulta de cette influence est qualifié de japonesque.
Bien qu’ayant gardé certains contacts avec l’Europe pendant plus de trois cents ans, ce n’est qu’en 1854 que le Japon commença à être connu en occident. La fermeture du pays aux occidentaux date de 1639, à l’exception du comptoir hollandais, sur l’îlot de Deshima dans la baie de Nagasaki. Cette situation prit fin le 31 mars 1854, quand le commandant Perry de la flotte américaine contraint le Japon à s’ouvrir au commerce avec les Etats-Unis. Les ports japonais se mirent à commercer avec d’autres pays, et des Japonais vinrent même en occident. Le Japon était présent à l’exposition universelle de 1862 à Londres, et firent découvrir un art alors pratiquement inconnu hors de l’archipel.
Dans les années qui suivirent, l’Europe fut envahie par des objets et des produits japonais dont la qualité s’améliorait constamment. Objets laqués, panneaux peins, kimonos, boutons de ceintures, éventails, bronzes, céramiques, peintures sur papier, et surtout des estampes (ukiyo-e) vinrent compléter les collections des amateurs en Europe. Dans les grandes villes européennes, toujours plus de magasins offrirent des objets d’art et d’artisanat japonais, la plus part du temps à côté d’objets chinois. Un exemple célèbre est la "Porte Chinoise" à Paris, originellement un salon de thé, où les artistes français virent les premières estampes japonaises en couleurs vers 1860. Dick Boer, marchant d’objets exotiques de La Haie, aux Pays-Bas, tira rapidement profit de l’avance des hollandais dans le commerce avec le Japon, et importait toutes sortes d’objets déjà en 1860, dans sa "Boutique Japonaise" (qui devint plus tard le Grand Bazar Royal).
Mais il fallu attendre encore quelques années avant que le Japon ne soit vraiment à la mode à Paris ou à Londres. Vers 1875, ce fut une véritable folie d’enthousiasme pour les éventails, les masques, les kimonos, les lampions, les estampes et les céramiques, et même des pièces de théâtre et des "opéras" japonais ont été présentés. Des artistes qui avaient étudié en particulier les estampes avaient découvert les nouvelles possibilités qu’elles offraient pour l’art occidental. Ce n’est pas tellement la précision botanique de la représentation de la nature, mais plutôt la façon décorative dont elles étaient exécutées. Cela fit l’admiration de nombreux artistes. Ils choisirent de plus en plus des motifs décoratifs à la façon de l’art japonais dans leurs peintures, et abandonnèrent le principe de perspective occidental. Ils reprirent le schéma profondément asymétrique des compositions japonaises, osant même laisser une place au vide dans leurs tableaux et couper des objets représentés en bordure de la toile, faisant ainsi une plus grande place à la suggestion d’un ensemble plus grand que le cadre. Souvent, les personnages sont représentés sur des fonds d’aplats et dans des poses empruntées aux estampes. Le format changea aussi : il devint plus fréquent de faire des toiles allongées verticalement, selon le modèle japonais des peintures sur papier en rouleau.
De par ses contacts commerciaux ininterrompus, les Pays-Bas connaissait un climat plus favorable à l’étude des la culture, l’histoire et l’art japonais. A partir de 1813 déjà, le roi Willem I avait acheté divers objets d’art japonais pour les montrer dans des expositions grand-public. Mais cela restait dans une grande mesure de simples curiosités ethnologiques et n’attirèrent l’attention des artiste néerlandais que beaucoup plus tard. L’intellectuel de la Haie Carel Vosmaer raillait les Pays-Bas pour ne pas avoir reconnu la valeur artistique des objets d’extrême orient, surtout comparé à d’autres pays européens, car "celui qui reconnaît la qualité et la valeur de l’art chinois et surtout japonais passe encore pour un ‘drôle de Chinois’ auprès de ses concitoyens". Le climat culturel en France et en Angleterre était plus propice à la reconnaissance de la qualité et l’originalité de l’art japonais.
Traditionnellement, on accorde à Félix Bracquemond (1833-1914) la primeur d’avoir pris l’art japonais comme modèle pour sa propre création. Il avait, en 1859, découvert chez son imprimeur un carton avec des porcelaines et des estampes japonaises représentant des fleurs, des animaux et des poissons, de l’artiste japonais Katsushika Hokusai (1760-1849). Il les trouva fabuleuses, les acheta, et les montra à son entourage. Lorsque que le commerçant en céramiques et verre François Eugène Rousseau (1827-1891), lui commanda un "service japonais", il le décora d’animaux, de fleurs et de poissons inspirés directement des croquis de Hokusai et d’autres estampes. Bracquemond fit même les gravures asymétriques colorées à la main avant d’être émaillées. Le service fut un énorme succès et fut produit pendant des années.
Un an avant la création du "Service Japonais" de Bracquemond, en 1865, l’artiste américain James Abbot McNeill Whistler (1834-1903) de l’Académie Royale de
Londres montra dans une exposition une toile encore plus nettement influencée par le japonisme. Dans ce tableau, "Caprice in purple and gold, The Golden Screen", son
amie Jo prend la pose habillée à la japonaise devant un paravent japonais en partie visible et regardant une estampe. Whistler avait découvert l’art japonais à Paris en 1860, où
il habita quelques années. Il devint l’un des plus illustres japonistes. Il rentra à Londres en 1963, mais revint régulièrement à Paris. En Angleterre, sa passion pour l’art japonais fit école
auprès d’artistes britanniques en leur montrant sa collection. Whistler ne faisait pas que représenter des objets japonais sur ses toiles, il reprit aussi le schéma de
composition japonais. On voit ainsi un paravent coupé par le cadre de la toile. Quelques années plus tard, inspiré par le Japonais Ando Hiroshige (1797-1858), il fit une série de toiles sous le
titre "Nocturne" où il reprend l’asymétrie radicale de l’estampe.
Le galeriste hambourgeois Siegfried Bing (1838-1905) joua un grand rôle dans le japonisme. Il ouvrit sa première boutique d’art japonais à Paris en 1878. En 1880 déjà, il fit le voyage pour le Japon et rapporta de nombreux objets. Pour faire connaître cet art au grand public, il publia la revue trilingue "Le Japon artistique"de mai 1888 à avril 1891, avec des essais de spécialistes de l’art et des reproductions graphiques d’objets. Sa boutique devint un lieu de rendez-vous pour les artistes, comme Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Bonnard, Gauguin, qui venaient régulièrement voir les nouvelles acquisitions. Bing prêtait aussi des objets pour des expositions, notamment au musée ethnologique ouvert en 1883 à Leiden, aux Pays-Bas, où toutes les collections d’art japonais des Pays-Bas étaient rassemblées.
Le japonisme exerça une influence certaine pendant de nombreuses années. Un exemple tardif est le paravent à quatre pants composé de quatre lithographies par le Français Pierre Bonnard (1867-1947) de 1899, intitulé "Promenade des nourrices, frise de fiacres" et dont 110 exemplaires avaient été fait. Outre la composition très asymétrique, il y a une frise de fiacres à chevaux. A droite, il y a une femme avec enfants et petit chien. La posture et le sens de la marche de ce petit groupe de personnages sont directement empruntés aux estampes japonaises imprimées dix ans auparavant dans la revue "Le Japon artistique". Chez le peintre George Hendrik Breitner (1857-1923), de La Haie, c’est encore plus net. Lors d’un séjour à Paris, en 1884, il avait visité la boutique de Siegfried Bing. Il fut très impressionné par ce qu’il y vit. Vers 1893, la même année que l’exposition de collections de Bing à La Haie, il peignit plusieurs toiles avec soit des objets japonais, soit une composition à la japonaise, dont "La petite boucle d’oreille", actuellement propriété du musée Boijmans Van Beuningen, et qui peut sans hésitation être qualifiée de "japoniste". Une grande femme mince en kimono se tient devant un miroir et essaye de mettre une boucle d’oreille, avec une partie de paravent japonais sur sa gauche. La composition asymétrique et la pose du grand personnage féminin sur un fond presque en aplat sont des éléments très inspirés des estampes.
De nombreux livres ont été consacrés depuis plus d’un siècle au "japonisme". La compréhension de l’art japonais n’a pas seulement permis à des artistes de trouver une nouvelle inspiration. Jamais auparavant des artistes occidentaux n’avaient montré autant d’enthousiasme pour un art étranger. Les principaux artistes japonais qui influencèrent les artistes européens étaient Hokusai, Hiroshige et Utamaro. Parmi les artistes européens adepte du japonisme on trouve : van Gogh, Manet, Degas, Renoir, Cézanne, Gauguin, Monet, Bonnard, Pissaro, Klimt...
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